Vers une grammaire contrastive des temps verbaux pour les apprenants Vietnamiens du Français Langue Étrangère (FLE)
Les temps verbaux constituent depuis toujours l’une des questions épineuses pour un
apprenant du FLE, surtout pour ceux dont la langue maternelle n’est pas proche des langues
flexionnelles comme le vietnamien, totalement étranger à la notion de temps verbaux. Cet article
propose une nouvelle perspective pour aborder l’expression de la temporalité en didactique du
FLE dans le contexte vietnamien: approche contrastive axée sur la langue maternelle de
l’apprenant. Tout d’abord, seront passés en revue la notion de linguistique contrastive et son enjeu
didactique, l’apport des recherches sur les universaux langagiers ainsi que le rôle primordial de
l’approche sémantique dans la conception d’une grammaire dite contrastive. Ensuite, certaines
difficultés concernant la question de la temporalité feront également l’objet de nos réflexions. Pour
conclure, l’auteur de cet article essaie de dresser les grands traits de ce qui pourrait être une
grammaire pédagogique contrastive des temps verbaux destinée particulièrement aux apprenants
vietnamiens du FLE
Trang 1
Trang 2
Trang 3
Trang 4
Trang 5
Trang 6
Trang 7
Trang 8
Trang 9
Trang 10
Tải về để xem bản đầy đủ
Tóm tắt nội dung tài liệu: Vers une grammaire contrastive des temps verbaux pour les apprenants Vietnamiens du Français Langue Étrangère (FLE)
hrys. 15 Le terme “temps » en français ne permet pas de distinguer le temps extralinguistique du temps verbal, tandis que les anglophones et les vietnamiens utilisent deux termes différents (time/tense en anglais et thời/thì en vietnamien). 16 Touratier, C. (1996). Le système verbal français. Description morphologique et morphématique, Armand Colin. HCMUE Journal of Science Vol. 18, No. 1 (2021): 83-94 90 large mesure) serait effectivement doté d’un signifié purement temporel, celui de , auquel s’ajouterait un autre trait non-temporel, celui de . [] les autres prétendus temps n’exprimeraient pas par eux-mêmes la chronologie ; ce n’est que parce qu’il leur arrive souvent de se charger en raison du contexte ou de la situation énonciative d’une valeur chronologique, et parce qu’on passe pudiquement sous silence tous les emplois proprement non temporels qu’on a pu les appeler des “temps” [] (Touratier, 1996, p.224) Cela revient même à dire que la valeur temporelle n’est pas l’apanage du système des temps verbaux et que pour les (faire) comprendre, on ne saurait recourir à une description qui fonctionne exclusivement sur leur sémantisme temporel. Procéder ainsi ne fait qu’occulter la réalité linguistique et fausser la compréhension des apprenants. On pourrait déjà à ce stade remettre en question la légitimité des appellations traditionnellement reconnues aux temps verbaux d’autant plus que nous avons, sans nous en rendre compte, mélangé des critères à la fois morphologique et sémantique comme passé simple, passé composé. Parler pourtant d’une réforme du métalangage serait un peu précoce, dans la mesure où nous avons été et sommes tellement habitués à la dénomination traditionnelle et que le débat sur la nature des temps verbaux fait encore couler beaucoup d’encre. Il suffirait de reconnaître que les étiquettes telles qu’elles sont utilisées et acceptées un peu communément aujourd’hui ne correspondent pas exactement à des faits linguistiques. 7.2. Le point de référence et la nature psychologique du système des temps verbaux En tant que produit langagier humain, les temps verbaux doivent forcément être de nature psychologique, comme nous l’ont montré les travaux de Guillaume17. En fait, sa théorie de la chronogénèse a contribué à dresser un archétype du système temporel en déterminant les phases différentes de la conception de l’image-temps dans la pensée hum aine. À la suite des travaux guillaumiens, linguistes et grammairiens ont essayé d’élaborer un modèle global du système temporel susceptible de rendre compte de toutes ses spécificités et d’expliquer les faits linguistiques concernés. Il est maintenant largement admis comme modèle une représentation graphique d’un axe chronologique vectorisé sur lequel se situent le moment d’énonciation (S), celui de l’événement (E) et à la suite de Reicheinbach18, un moment de référence (R). Si Gosselin19 complète plus tard ce modèle en y introduisant la notion d’intervalles en remplacement des points-moments dont parlait Reichenbach, le fait d’assigner un moment de référence sur l’axe du temps pour la 17 Guillaume, G. (1965). Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps. Paris, Honoré Champion. 18 Reichenbach, H.G. (1980). Elements of symbolic logic. Dover Publications, New York. 19 Gosselin, L. (1996). Sémantique de la temporalité en français. Un modèle calculatoire et cognitif du temps et de l’aspect. Ed. Duculot, Belgique. HCMUE Journal of Science Vu Triet Minh 91 description d’un procès demeurerait une des inventions les plus importantes dans le domaine et témoin vivant de la nature psychologique du temps verbal. Et c’est ce moment de référence imaginaire, invisible, que le locuteur doit se créer par son imagination car la position de celui-ci sur l’axe temporel va dicter le choix du temps verbal. (1) Il voit un chat. R = E = S, aspect inaccompli (2) Il voyait un chat. R = E < S, aspect inaccompli (3) Il vit un chat. R = E < S, aspect aoristique D’autres auteurs, à l’image de Novakova20, préfèrent parler de “la mobilité des temps verbaux” sur l’axe temporel pour expliquer le fait que certains tiroirs verbaux s’emploient pour marquer des époques auxquelles ils ne sont normalement pas dédiés, emplois que les grammaires traditionnelles qualifient de stylistiques et métaphoriques. Dans ces cas, il faudrait faire appel à la théorie de l’énonciation de l’école benvenistienne pour rendre compte de ces prétendues anomalies. Le fait que le locuteur choisit [] un “temps” traditionnellement réservé au “passé” pour parler d’un procès présent ou futur ou au contraire, un futur à la place d’un tiroir censé exprimer l’époque passée, pourrait s’expliquer par différentes intentions énonciatives et pragmatiques [] (Novakova, 2001, p.73) Or, la grammaire vietnamienne ne connaissant pas de flexion verbale, on comprend pourquoi l’apprenant vietnamien peine à se repérer dans ce monde fortement psychologisé des temps verbaux français. S’y ajoute que la conjugaison verbale consomme déjà beaucoup d’énergie. De notre point de vue, la psychologie des langues en général et des temps verbaux en particulier dans ce cas devrait constituer tout l’enjeu de l’enseignement des temps verbaux, puisqu’il n’y a aucune règle absolue qui impose tel tiroir verbal dans telle situation. Toute approche didactique qui ne réussit pas à expliciter cet aspect psychologique risque donc de se diriger vers l’échec. 8. Quelques éléments d’analyse contrastive avec le vietnamien Nombreuses sont les recherches menées dans une perspective contrastive français- vietnamien, démarche qui a séduit tant les linguistes vietnamiens que francophones. Nous essaierons ici de montrer qu’il y a toujours intérêt quant à une approche didactique basée sur les éléments contrastifs des deux langues à travers deux exemples typiques. Rappelons tout d’abord qu’en l’absence de temps verbaux, le vietnamien fait appel à des marqueurs d’ordre lexical tels que đã, đang, sẽ, vẫn, còn, rồi, etc. (cf. supra) pour exprimer la temporalité. Premièrement, il nous est arrivé d’observer un curieux parallélisme : tout comme pour le français, c’est le sémantisme de ces derniers qui continue toujours à diviser les 20 Novakova, I. (2001). Sémantique du futur, étude comparée français-bulgare. L’Harmattan. HCMUE Journal of Science Vol. 18, No. 1 (2021): 83-94 92 linguistes au Vietnam. Certains sont d’accord pour dire que ces marqueurs dénotent la valeur temporelle, pour d’autres, c’est la valeur aspectuelle qu’ils véhiculent. Par ailleurs, l’existence de l’imaginaire point de référence en vietnamien a été également signalée par Truong Van Chình21. En effet, il arrive très souvent auxdits marqueurs de situer chronologiquement un fait par rapport à un autre fait non exprimé. Il y a donc de quoi penser qu’il existe une certaine correspondance entre les procédés sémantico-cognitifs relatifs à l’expression de la temporalité des deux langues. Or, quelle que soit la valeur de ces marqueurs, l’apprenant vietnamien les maîtrise de façon innée. Il ne se rend probablement pas compte qu’il s’agit de difficultés communes aux deux langues et non pas une seule qui vienne uniquement du côté du français. Un travail d’analyse rigoureux suffirait pour rendre l’apprenant plus réceptif à cette “volatilité” des temps verbaux français, ce qui favoriserait toute démarche pédagogique qui s’enchaîne. Certes, mettre en évidence les similarités psychologiques entre deux systèmes temporels serait particulièrement judicieux pour favoriser un transfert positif chez les apprenants vietnamiens. Or, si les transferts positifs jouent un rôle important en favorisant l’acquisition d’une langue étrangère, les transferts négatifs ou interférences s’imposent eux aussi dans le sens inverse. Une analyse contrastive permettant ainsi de repérer des divergences majeures entre les deux langues contribuera à anticiper les pratiques fautives de l’apprenant. 9. Vers une grammaire pédagogique contrastive des temps verbaux en français pour les vietnamiens Une telle grammaire, qui se veut tout d’abord contrastive, doit établir son fondement dans des analyses linguistiques rigoureuses didactisées tout en tenant compte des facteurs de l’acquisition : interlangue, interférence, transfert On remarque sans doute jusqu’à l’heure actuelle une présence limitée de grammaires d’enseignement contrastives, cela tiendrait probablement aux raisons pragmatico-pratiques, car une grammaire contrastive ne serait dans ce cas réalisable qu’à condition que la langue qu’elle met en contraste soit parlée par un large nombre de locuteurs. Si on commence à voir paraître les grammaires contrastives pour les anglophones, hispanophones, lusophones, etc., une grammaire contrastive français-vietnamien qui rende compte de tous les faits de langue dans sa totalité demeure en quelque sorte une utopie. La plupart des méthodes de langue proposent une démarche allant de la langue cible et qui décrit la langue à apprendre telle quelle, sans tenir compte des spécificités de la langue des apprenants. La perspective que nous proposons repose par contre sur la langue source de l’apprenant : élaborer une grammaire des temps verbaux français à partir de la structure de la langue vietnamienne et ses procédés linguistiques destinés à rendre la 21 Truong V. C. (1970). Structure de la langue vietnamienne, Imprimerie nationale: P. Geuthner, Paris, p.374. HCMUE Journal of Science Vu Triet Minh 93 temporalité. Ensuite, normes pédagogiques obligeant, seront inévitables des va-et-vient entre d’un côté, les grammaires descriptives et de l’autre, celle des apprenants. Des révisions régulières par conséquent doivent s’effectuer pour mettre à jour les contenus linguistiques. L’approche sémantique s’avère particulièrement efficace pour accompagner une telle démarche, car elle permet de se détacher de la description morphologique traditionnelle et de construire la grammaire à partir des opérations conceptuelles, universelles et accessibles à tous les apprenants. 10. Conclusion Compte tenu de tout ce qui vient d’être exposé, nous proposons ce que nous appellerons une “grammaire pédagogique contrastive des temps verbaux” destinée particulièrement au public apprenant vietnamien. Nous envisageons l’élaboration de celle- ci selon un découpage en étapes: + Cadre théorique: Cette première étape est consacrée à l’étude de la théorie linguistique sur la temporalité en français et en vietnamien pour identifier les ressemblances ainsi que les dissemblances entre les deux langues en matière d’expression de la temporalité. Que soient étudiés également les éléments théoriques liés à l’acquisition de langue étrangère et à l’approche didactique contrastive. + Expérimentation: À la suite des analyses théoriques sur la temporalité en deux langues, s’impose l’élaboration d’un dispositif didactique des temps verbaux dans une perspective contrastive avec le vietnamien. Après l’avoir fait tester aux apprenants, il importe d’évaluer l’acquisition des apprenants à différents moments de leur expérience. + Analyse du corpus: L’évaluation doit être considérée dans son aspect qualitatif. Il est possible de faire produire aux apprenants les textes en français où il leur est demandé d’une manière implicite l’usage des temps verbaux. Les apprenants seront ensuite soumis à une épreuve d’auto-confrontation dans laquelle ils seront amenés à expliquer leur choix de temps verbaux ainsi qu’à se renvoyer dans chaque cas à leur langue maternelle. + Analyse du corpus de vérification: Le corpus d’étudiants sera sans aucun doute révélateur, mais incapable de considérer la problématique des temps verbaux dans son intégrité. Il serait préférable de le compléter par un corpus de vérification, qui peut être un corpus comparé de nature littéraire ou journalistique. + Propositions didactiques: L’analyse des corpus cités permettra alors de statuer sur des propositions didactiques Bref, l’apprentissage du FLE pose d’énormes problèmes en matière de l’expression de la temporalité verbale aux apprenants vietnamiens qui se retrouvent, du fait de leur langue maternelle éloignée, peu perméables aux particularités linguistiques françaises. La linguistique contrastive avec le vietnamien dans ce cas pourrait offrir une solution, certainement pas miracle, mais qui mérite d’être examinée et exploitée de manière plus systématique en didactique du FLE. HCMUE Journal of Science Vol. 18, No. 1 (2021): 83-94 94 Déclaration sur les droits: Les auteurs attestent qu’il n’y a pas de conflit sur les droits. BIBLIOGRAPHIE Beacco, J. C., dir., Coll. Grammaire contrastive. CLE international. Besse, H. & Porquier, R. (1991). Grammaires et didactique des langues. Hatier/Didier. Charaudeau, P. (1994). Grammaire du sens et de l’expression. Hachette. De Salins, G. D. (1996). Grammaire pour l’enseignement/apprentissage du FLE. Didier/Hatier. Klein, W. (1989). L’acquisition de langue étrangère, traduction de Colette Noyau. Armand Colin. Novakova, I. (2010). Syntaxe et sémantique des prédicats (approche contrastive et fonctionnelle), Dossier présenté en vue de l’Habilitation à Diriger des Recherches. Volume 1: Synthèse des travaux de recherche. Truong, V. C. (1970). Structure de la langue vietnamienne. Imprimerie nationale: P. Geuthner, Paris. ABOUT A CONTRASTIVE GRAMMAR ON VERB TENSES FOR VIETNAMESE LEARNERS OF FRENCH AS A FOREIGN LANGUAGE Vu Triet Minh Ho Chi Minh City University of Education, Vietnam Corresponding author: Vu Triet Minh – Email: minhvt@hcmue.edu.vn Received: April 26, 2020; Revised: July 26, 2020; Accepted: January 22, 2021 ABSTRACT Verb tenses have always been one of the hard questions for a learner of French as a foreign language, especially for those whose mother tongue is not close to inflectional languages like Vietnamese, which is completely foreign to the concept of verbal tenses. This article proposes a new perspective to approach the expression of temporality in teaching French as a foreign language in the Vietnamese context: a contrastive approach based on the learner's mother tongue. We will analyse the notion of contrastive linguistics and its didactic issue, the contribution of research on language universals as well as the essential role of the semantic approach in the conception of a so-called contrastive grammar. It is also in this approach that the author of this article tries to draw the broad outlines of what could be a contrasting pedagogical grammar of verb tenses intended particularly for Vietnamese learners of French as a foreign language. Keywords: temporality; contrastive grammar; semantic approach; Vietnamese
File đính kèm:
- vers_une_grammaire_contrastive_des_temps_verbaux_pour_les_ap.pdf